Épisode 2 – Lucie Charlier,
la création collective
Retour sur Faire la Ville Buissonnière
Faire la Ville Buisonnière, synopsis:
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" Le quartier de la Bricarde se situe dans le 15ème arrondissement marseillais, à l’intérieur de ce que l’on nomme généralement comme un tout homogène, les «quartiers nords de Marseille». Pourtant l’espace est multiple: immeubles de quinze étages, locaux vides, lotissements égaux mais aussi jolies petites maisons...
C’est dans cet espace que les élèves de la classe de CM2 de l’école de la Bricarde tentent de (re)penser la ville. Entre ateliers en classe et déambulations dans le quartier, les idées fusent et créent du débat. Ils.elles nous prouvent la nécessité d’un plus grand droit à la ville pour les enfants et, plus généralement, pour tous.tes les habitant.e.s. "
En 2020, Lucie Charlier présentait Faire la Ville Buissonnière lors de la troisième édition du festival Premiers Regards. Édition particulière puisque, confinement oblige, nous avions diffusé notre programmation en ligne. Pour donner la parole aux réalisateurs.trices comme nous le faisons habituellement à chaque séance, nous avons réalisé des entretiens vidéos encore disponibles sur notre chaîne Youtube. Tous les festivals ont pâti de la situation sanitaire et par conséquent la diffusion des courts-métrages n’en a été que plus compliquée. Malgré tout, Faire la Ville Buissonnière a été diffusé entre 2020 et 2022 dans plusieurs festivals et a reçu quelques prix, dont celui du jury de Premiers Regards cette année-là. Lors d’une des séances de projection du film, une spectatrice touchée par le sujet lui a également permis de diffuser son film dans le cadre d’ateliers au sein d’un centre social de Marseille. De manière générale, le film a été le support d’un travail de médiation autour du sujet du réaménagement du territoire, tout particulièrement à Marseille.
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Je suis toujours intéressée par ces sujets de réaménagement du territoire. Ils sont tellement vertigineux à l’heure actuelle que moi je ne sais plus quoi en dire. À une période, les changements s’opéraient par des grands travaux d'aménagement public dans la ville. On voyait la modification directe et on savait qui impulsait ces modifications. Aujourd'hui c'est différent, la ville change de tous les côtés: de nouveaux lieux ouvrent, les prix montent. C'est une autre étape et c'est compliqué de savoir qui accuser. Même si le but n'est pas juste d'accuser des gens. Je pense que c'est un sujet trop proche de moi pour que j'ai un discours sensé.
Artiste en présence
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Mis en ligne sur une plateforme universitaire, les films ont pu être visionnés par de nombreuses personnes pendant le confinement dont le directeur du festival de musique de Chaillol. Touché par son film, il l'a sollicitée pour réaliser un documentaire sur le festival. Habituellement le festival se déroule sur un mois en itinérance dans les Hautes-Alpes, mais cette année 2020 la programmation a été réduite à cause de l’épidémie de covid pour permettre de proposer des activités musicales avec les habitant.es. Accompagnée de Camille Ronger, qui après avoir été monteuse sur Faire la Ville Buissonnière, s'est spécialisée en son, Lucie s’est concentrée sur le poste de cheffe opératrice. Ce projet leur a permis de se confronter à l'exercice particulier qu'est celui de la commande pour lequel il faut savoir jongler entre ses intentions personnelles et celle de commanditaire. Alors qu'il était prévu pour être un court, le film se transforme en long-métrage d'un peu plus d'une heure.
Valorisation d’archives musicales
Un projet en amenant un autre, Lucie est contactée par un collectif portant un projet de recherche à Pigna en Corse sur les cultures musicales. A partir d’archives audio des enregistrements de musicien..es, pour la plupart décédé..es aujourd’hui, des artistes ont créés des pièces musicales contemporaines. Lucie y a participé en filmant une résidence de trois artistes.
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Ce projet pose la question "qu'est-ce que la culture?". Comment on définit une culture ou comment on la présente ? Comment on la met dans des cases aussi ? C'est dommage car on a tellement enfermé ou sacralisé des choses qu'on les figent et qu'elles ne sont plus du tout vécues au présent. Ça devient des objets figés qui perdent leur sens.
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Filmer les mouvements sociaux
Lors de son premier entretien pour Premiers Regards, Lucie nous avait raconté que ses tout premiers essais vidéos avaient été tournés lors des marées vertes en Argentine, sans projet documentaire en tête, mais simplement de l’envie spontanée de faire des images. J'ai voulu savoir si aujourd'hui encore elle filmait les mouvements sociaux.
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A l'époque en Argentine j'ai beaucoup filmé, mais sans matériel, juste mon téléphone portable ou une petite caméra à un moment. C'était la première ouverture vers ce que c'est filmer le réel. Quand à Marseille il y a eu de grosses manifestations après les effondrements de la rue d'Aubagne, j'ai pris beaucoup de vidéos. Il y avait des manifestations toutes les semaines, des marches de la colère, des marches blanches en hommage aux personnes décédées. C'était des manifestations très intenses et j'ai beaucoup filmé sans en faire quelque chose, juste un petit montage. Mais récemment, avec les mouvements contre la réforme des retraites je n'ai pas filmé. Parfois je prends des photos. Je ne sais pas pourquoi, la caméra devient quelque chose de moins quotidien pour moi. Il faut que ce soit dans un cadre bien défini. Alors que la photo, notamment la photo argentique, j'arrive plus à lui faire une place dans mon quotidien. Je ne sais pas trop pourquoi.
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Les ateliers
Avec son premier film, Lucie s’était exercée au film d’atelier.
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J'ai adoré toute l'ambiance qu'il y a eu avec Faire la Ville Buissonnière, c'est-à-dire se retrouver en milieu scolaire et venir pendant un an pour faire des ateliers suivis et faire évaluer une thématique. Ça m'a donné envie d'être plus dans ces milieux comme le milieu scolaire.
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Les ateliers sont le moyen “d’impulser la fabrication de quelque chose en collectif”. C’est par le biais d’ateliers que Lucie va continuer son travail créatif.
D’abord, il y a le projet Lambda dont le but était de faire des ateliers de réalisation de films dans des centres d'accueil avec des personnes exilées en Italie et en Grèce. Le projet est financé par la Fondation de France et l’association italienne ASPEM. Lucie est logée au sein même des centres d’accueil où elle reste à chaque fois un mois. Le travail se mêle à la vie quotidienne. Ensuite, il y a un projet d’atelier d’un mois à Marseille à l’Estaque avec un groupe aux âges très variés.
En terme humain, ces expériences d’ateliers sont toujours très fortes, mais Lucie n’arrive pas à être satisfaite par la qualité cinématographique de ce qui est produit. Elle se sent limitée par la durée imposée par les appels à projet, là où pour son film de fin d’études elle avait pu travailler sur le temps long.
Et l’argent ?
L’enrichissement personnel et artistique, c’est bien, mais un des sujets que nous souhaitons aussi aborder via cette série d’articles Parkour! est celui de la rémunération. Comment on “gagne sa vie” après un master en documentaire ?
Cette année, Lucie admet que “c’était la course pour obtenir le statut d’intermittent”. Déjà, il faut comprendre le système, compter ses heures, et être bien certaine qu’elles puissent être comptabilisées au régime intermittent. Heureusement, elle a pu être aidée par une association Marseillaise, Les Têtes de l’Art, qui accompagne les artistes dans ce dédale administratif.
Après son expérience de 8 mois en Italie, Lucie de retour à Marseille se forme à l'assistanat caméra dans le but de trouver plus facilement du travail rémunéré (que celui d'auteur.trice). Elle se rend compte que ce métier ne lui correspond pas.
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Je me suis rappelée que je n'étais pas arrivée au cinéma documentaire par le cinéma, mais plutôt pour l'expérience de filmer, ce que cela peut permettre, la mise en forme de récit. Je n'ai pas le goût du matériel audiovisuel.
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Pour s'en sortir financièrement, elle reprend une activité de professeur de piano qu'elle avait déjà exercée en parallèle de ses études. Cela lui permet de concilier musique et cinéma dans sa vie professionnelle.
Prochains projet de film
Ce début d'année 2023, Lucie a commencé à réfléchir à un nouveau projet de film documentaire. Elle souhaite prendre le temps de l'écrire pour pouvoir le faire produire et le réaliser avec un cadre clair. Ce documentaire portera sur sa famille maternelle qui, partie d'Andalousie pour s'installer en Algérie coloniale, s'est finalement installée en France après l'indépendance.
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Ma mère a vécu 8 ans en Algérie et elle n'y fait jamais référence, c'est très bizarre, comme si ce n'était pas l'Algérie, comme si c'était une terre hybride sans identité. L'identité française surplombe celle algérienne. Il y a besoin d'un long temps entre différentes générations pour aller fouiller dans l'histoire.
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Ces récits d’exil sont des sujets riches qui sont aujourd’hui pris en charge par une génération qui ne l’a pas directement vécu. On attend avec impatience le travail de Lucie là-dessus !
Pour en savoir plus sur Lucie et découvrir son travail
Faire la Ville Buissonnière, le documentaire de fin d’étude de Lucie sélectionné et primé à Premiers Regards est visionnable pendant un mois sur notre chaîne Youtube ainsi que l'entretien que nous avons réalisé avec elle en 2021.